Dix ans après la chute de Ben Ali, le spectre de l’État policier refait surface en Tunisie. Répressions des manifestations pacifiques, arrestations arbitraires et des peines très sévères à l’encontre des jeunes engagés pour la dignité et la justice sociale. Focus.
Colère populaire
Depuis des semaines, le pays vit au rythme très accéléré des protestations anti-système. Le slogan “le peuple veut la chute du régime”, qui pour la majorité des manifestants ne s’est jamais concrétisé, retentit de Bizerte à Tataouine et confirme une nouvelle rupture. Si le clan Trabelsi est de l’histoire ancienne, leur mode opératoire est encore d’actualité. L’injustice, la corruption, la pauvreté et les inégalités perdurent, alors que les promesses éphémères des gouvernements successifs ont installé une incertitude permanente.
Les jeunes en colère imputent la responsabilité du marasme socio-économique à la classe politique en place et particulièrement le parti Ennahdha, au pouvoir depuis 2011. Le chef du gouvernement Hichem Mechichi est aussi très contesté pour sa gestion controversée des dossiers prioritaires – dont la crise sanitaire – ses liens avec la Troïka parlementaire, son conflit avec le président Saïed et son discours en langue de bois. Plusieurs voix s’élèvent pour le départ de Ghannouchi et Mechichi et la chute du régime.
Répression policière
Face au ras-le-bol populaire, les autorités se sont contentées des solutions sécuritaires. L’importation de soixante MIDS, voitures blindées en provenance de la France, la présence policière renforcée, le déploiement de véhicules et de canons à eau, les coups de matraque et le gaz lacrymogène ressuscitent, en effet, les pratiques dictatoriales.
Membre de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme, Ahmed Ghram a été arrêté puis relâché, son ordinateur et téléphone saisis, pour un simple post facebook. Le photojournaliste, Islam Hakiri, victime d’agression policière, a été placé en garde à vue, ensuite libéré, pour avoir tenté de porter plainte contre le policier qui l’a agressé. Une tendance répressive confirmée par les chiffres du cabinet Emrhod Consulting : 49% des Tunisiens pensent que la liberté d’expression est menacée en Tunisie.
Plus de 1 600 individus, majoritairement des mineurs, ont été arrêtés ces derniers jours, où les vidéos des agressions policières ont envahi les réseaux sociaux et attisé la révolte. Haykel Rachdi, un manifestant de Sbeitla, un des bastions oubliés de la Révolution du Jasmin, est décédé après avoir succombé à sa blessure par une bombe lacrymogène.
Attention danger !!!
Le recours à la force excessive pour réprimer les manifestations pacifiques en Tunisie inquiète les organisations de la société civile, montées au créneau pour dénoncer les brutalités policières et les accusations exagérées contre les manifestants pacifiques : “appel à la désobéissance civile” et “constitution d’une bande de malfaiteurs”.
Dans un communiqué rendu public, l’Instance de prévention contre la torture (INPT) a révélé au grand jour les dépassements ahurissants dans les centres de détention. Utilisation de battes de Baseball, de tuyaux en plastique et de faisceaux électriques pour le traitement inhumain, accompagné par les insultes, infligé aux personnes arrêtées.
Outre ces violentes agressions, l’impunité de leurs auteurs et l’urgence de libérer tous les détenus en marge des manifestations populaires, la peine de 30 ans de prison prononcée contre trois jeunes du Kef pour consommation de cannabis préoccupe de nombreuses organisations nationales. Elles exigent la révision de ladite “loi 52”, jugée trop répressive et qui, pour elles, continue de sacrifier l’avenir des jeunes tunisiens.
Crise au plus haut sommet de l’État
Pendant ce temps, le conflit institutionnel entre le président de la République, le chef du gouvernement et le titulaire du perchoir fait rage et éternise un sombre nuage sur le pays.
Trahi par Hichem Mechichi, qu’il a lui-même désigné à la tête de la Kasbah, Kaïs Saïed s’est engagé à ne pas autoriser quatre nouveaux ministres, choisis lors du mercato ministériel et soupçonnés de corruption, à prêter serment pour entamer leur mission. Une décision critiquée par le président du Parlement et chef du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi qui n’a pas hésité à s’attaquer au pensionnaire de Carthage.
Pour l’icône religieuse, “Kaïs Saïed estime avoir le droit d’accepter certains ministres et d’en exclure d’autres. Il confond entre le régime présidentiel et le régime parlementaire qui octroie un rôle symbolique au président de la République, et non un rôle constitutif, et la composition ministérielle revient au parti au pouvoir et au chef du gouvernement”.
Ainsi, après avoir mené une diplomatie parallèle et tenté de mettre la main sur un domaine réservé au chef d’État, Rached Ghannouchi compte isoler davantage Kaïs Saïed. Cependant, le leader islamiste n’est pas à l’abri d’une nouvelle motion de censure et son poste à la tête du perchoir demeure, encore une fois, menacé.
Mais où sont les leaders politiques de la réalisation des objectifs de la Révolution ? Certains priment les intérêts personnels et partisans, se protègent de la colère citoyenne par un dispositif sécuritaire musclé, d’autres enchaînent les diatribes stériles et tous, ils privent les jeunes de travail, d’avenir et d’espoir et leurs offrent misère et désillusion.