Au pouvoir depuis le départ de Ben Ali, le mouvement islamiste Ennahda a mobilisé ses troupes, samedi, pour une marche, dite “millionième”, en appui aux institution de l’État. Pour mener à bien cette démonstration de force, un important dispositif logistique et humain a été mis en place : les accès à l’avenue Habib Bourguiba et aux rues adjacentes ont été bloquées, la présence policière a été décuplée et des bus et sandwichs ont été à la disposition des sympathisants, venus des quatre coins du pays, avec des drapeaux et des pancartes pro-système, Ennahda, et Rached Ghannouchi, tous cibles de virulentes critiques. Mais à quoi joue vraiment le titulaire du perchoir et quel esprit de Révolution défend-t-il ?
En guerre ouverte avec le président de la République, Kaïs Saïed, Rached Ghannouchi a appelé à ce rassemblement en appui au gouvernement de son protégé Hichem Mechichi. Certes, il prétend vouloir “restaurer l’unité nationale, le dialogue, rejeter le populisme, préserver la Révolution et la démocratie”, toutefois, son bilan ne plaide pas en sa faveur. En dix ans de règne, l’économie est passée de stable à critique et la note souveraine de la Tunisie s’est dégradée à B3 avec perspective négative par l’agence de notation Moody’s. La crise sociale est profonde, l’imbroglio politique est permanent, la dette extérieure est insoutenable, la corruption demeure monnaie courante et le spectre de la faillite plane. Pour résumer, le pays, dirigé par Ennahda, poursuit sa vertigineuse descente aux enfers.
Cependant, les islamistes préfèrent opter pour le déni absolu et décident de répondre aux manifestations spontanées, éclatées il y a quelques semaines contre “le régime”. Rached Ghannouchi et son conseiller, Mohamed Ghariani, ex secrétaire général du RCD, le parti dissous de l’ancien président déchu, ont concocté cette marche en infraction aux mesures de prévention sanitaire en place, pour juguler la propagation du coronavirus. Pendant ce temps, les citoyens lambda doivent respecter les horaires du couvre-feu et le port obligatoire du masque, les restaurateurs doivent déclarer faillite en raison des restrictions en place, les supporters sont interdits de soutenir leurs clubs préférés dans les stades et les Tunisiens venus de l’étranger doivent respecter la mise en quarantaine. Si Ennahdha a réussi à mobiliser la rue, le parti mérite aussi le dégradant label “voyou”.