« Le seule vraie surprise est que Benkirane soit toujours à la tête du gouvernement au Maroc », résume un ancien ministre istiqlalien en commentant la composition de la deuxième mouture du gouvernement Benkirane. Si l’on se fie aux apparences selon notre source,[onlypaid]
le PJD et le chef du gouvernement apparaissent comme ayant perdu, mais si on prend le temps d’aller au fond des choses, la situation est plus complexe.
Une analyse que fait sienne allégrement un dirigeant du PJD, pourtant connu pour ses positions radicales. « Les gens oublient ce qui se passe dans la région. Les islamistes ont été chassés du pouvoir en Egypte et sont en voie de l’être en Tunisie. Si Benkirane arrive à se maintenir et à garder 11 ministres, cela peut être considéré comme un exploit », explique ce membre du secrétariat national du PJD. Il faut dire que les amis de Benkirane reviennent de loin.
Au printemps dernier quand Hamid Chabat, secrétaire général de l’Istiqlal décide de se retirer du gouvernement, on ne donnait pas cher du gouvernement. Un proche d’Abdelilah Benkirane confirme que l’ordre avait été alors donné aux ministres du parti d’amasser le maximum de « dossiers toxiques » précédant leur arrivée au pouvoir. Le PJD se préparait à passer dans les rangs de l’opposition. En effet, Abdelilah Benkirane et Abdallah Baha étaient pratiquement sûrs qu’ils avaient fait leur temps. Aux autres dirigeants du PJD, ils se plaignaient en privé de certains « cercles de l’Etat » qui les combattaient inlassablement. Un autre fait est venu compliquer un peu plu la donne des islamistes. Les contacts avec le palais royal se faisaient plus distants et moins fluides. Le conseil des ministres est reporté sine die. Le chef de l’Etat ne rate aucune occasion, lors de ses discours, d’épingler la gestion gouvernementale. En plus, les salafistes, jadis soutiens électoraux du PJD, rejoignent un parti politique qui a fait campagne au sein du G8.
A un journaliste venu le voir, Abdallah Bouanou, président du groupe du PJD à la chambre des représentants, confie que si son parti sort du gouvernement, il n’était pas sûr qu’il puisse un jour y revenir. Mais les événements dramatiques en Egypte sauvent Benkirane et le PJD. L’impasse égyptienne débouchant sur des milliers de victimes est contre-productive. Elle renforce au sein de l’opinion publique l’idée de l’existence d’un complot international contre les démocraties arabes naissantes qui ont profité à l’Islam politique.
Abdelilah Benkirane, tacticien hors pair, le sait. Il doit faire des concessions. L’option des élections législatives quant à elle est définitivement écartée parce que trop incertaine. Commence alors un long marathon de négociations avec le RNI. Il durera presque trois mois et se conclura par la constitution d’un gouvernement où tout le monde trouve son compte. Le Chef du gouvernement réussit un coup de maître en se débarrassant à la fois d’un ministère très gênant pour lui, celui des affaires étrangères, et d’un homme qui lui faisait de l’ombre au parti. « Les Affaires étrangères dérangeaient énormément Benkirane. Il est conscient que la seule voie dans ce domaine est celle du roi et que toute autre voie dissonante nuirait à l’image du Maroc », nous confirme un dirigeant du PJD. En outre, El Othmani, qui l’a précédé à la tête du PJD, est toujours perçu par Abdelilah Benkirane comme un rival. Le fait qu’il soit ministre des Affaires étrangères lui conférait une stature internationale et une visibilité équivalente à celle du chef du gouvernement. Dans la foulée de ce changement, Benkirane réduit la marge de manœuvre politique de Salaheddine Mezouar, qui sera désormais contraint au devoir de réserve inhérent à son nouveau portefeuille ministériel « souverain ».
En cédant également le ministère de l’Intérieur à un technocrate, il éloigne de lui les critiques de la société civile à chaque fois que la répression s’enclenche contre des manifestations. Aujourd’hui, Abdelilah Benkirane peut convaincre ses militants et une partie de l’opinion publique que la gestion sécuritaire ne relève pas de ses compétences. En même temps, il permet à son fidèle allié, Mohand Laenser, de récupérer un ministère électoralement plus juteux : l’Urbanisme et l’Aménagement du territoire.
Autres gains engrangés par le chef du gouvernement et non des moindres, le maintien de son poulain Driss Azami au Budget et le sauvetage in extremis de Mohamed Louafa, expulsé par l’Istiqlal parce qu’il n’a pas voulu démissionner du gouvernement. Abdelilah Benkirane envoie un message clair à ses amis et à ses ennemis : il sait récompenser ceux qui lui restent fidèles.
Donc, même relativement affaibli, le patron des islamistes légaux marocains peut encore réussir quelques coups tactiques. « Il se concentre surtout sur ses fondamentaux pour faire face aux prochaines échéances électorales. Il faut faire attention à lui, c’est un redoutable manœuvrier et ça sera difficile de le désarçonner », conclut un observateur averti de la vie politique marocaine.[/onlypaid]