«Une personnalité unique », c’est l’expression qui est le plus revenue dans les discussions des membres du sérail marocain venus rendre un dernier hommage à Abdelaziz Meziane Belfkih, le conseiller de Mohammed VI décédé dans la nuit de dimanche dernier des suites d’un cancer qui le rongeait depuis près de deux ans.
Réunis autour d’un dîner funéraire dans la villa ombragée du quartier des ministères à Rabat, la quasi-totalité des décideurs marocains a devisé sur la carrière hors norme de cet ingénieur devenu au fil du temps l’un des hommes les plus influents du Royaume. L’enterrement s’est déroulé le lendemain à Taourirt, village dont était originaire Meziane Belfkih, situé à mi-chemin entre les villes d’Oujda et de Taza, et là aussi, c’est une foule des grands jours qui avait fait le déplacement depuis la capitale. Si le titre de « conseiller spécial » n’existe pas au sein du cabinet royal marocain -à l’image d’un Henri Guaino pour Nicolas Sarkozy- il aurait néanmoins convenu parfaitement à Meziane Belfkih, dont le portefeuille d’attributions était très étendu. Grands travaux, éducation, investissement, économie ou encore réflexion stratégique à travers le très discret IRES (Institut Royal d’Etudes Stratégiques, contrôlé par Tewfik Mouline), la position du conseiller était bien « unique » au sein de l’appareil d’état marocain. En effet, Meziane Belfkih, c’était d’abord un chasseur de têtes, un œil aiguisé pour repérer le talent qui a placé à tous les postes clefs de l’administration marocaine des hommes qui faisaient partie d’un pacte tacite dont il était le ciment secret, l’homme ne disposant ni d’appareil, ni d’administration qui pourraient expliquer le succès de l’ingénierie tentaculaire qu’il a mise en place. Sa force principale, Meziane la tirait de son réseau de fidèles et de sa capacité à mobiliser les acteurs qui le composent, créant parfois des attelages inédits qui auront été au cœur du développement économique du Maroc lors de la dernière décennie. Or, dès l’annonce de sa maladie, les journaux et les observateurs spéculent sur l’identité de celui qui pourrait le remplacer au sein du cabinet royal. Des noms ont circulé, mais le bal des candidats risque de durer encore longtemps, car remplacer « poste pour poste » un responsable public n’est pas dans les habitudes du Makhzen. Au Maroc plus qu’ailleurs, « ce ne sont pas les postes qui font les hommes, mais les hommes qui font les postes » et l’histoire a démontré qu’il n’est pas rare de voir des responsables publics aux attributions –en théorie- limitées investir d’autres domaines qui pourraient sembler loin de leurs fonctions premières. De surcroit, le cabinet royal est un espace où l’influence des membres dépend des missions qui leur sont confiées, l’importance de ces dernières déterminant la puissance de leurs exécutants. Le scénario le plus probable de l’après Meziane Belfkih serait donc une redistribution des dossiers dont il avait la charge, ainsi que le redéploiement de son équipe de collaborateurs auprès d’autres conseillers royaux. La bataille aurait d’ailleurs déjà commencé pour récupérer les jeunes chargés de mission qui officiaient auprès de lui. A la manœuvre, l’on retrouve les conseillers les plus influents dont Zoulikha Nasri, qui a en charge quasiment l’ensemble du portefeuille social, et Omar Kabbaj, ancien Président de la Banque Africaine de Développement, qui devrait hériter des dossiers à caractère économique.