Maroc. Aziz Akhannouch vs Abdellatif Jouahri : duel à fleurets mouchetés entre un flegmatique gardien de but et un roublard joueur de «Touti»

« On s’attendait à un PJD vindicatif, une gauche belliqueuse ou encore des syndicats récalcitrants. On appréhendait même un Istiqlal vicieux, pieds dedans pieds dehors comme à son habitude. Mais finalement, la véritable opposition nous est venue de Bank Al-Maghrib », explique, au bord de la crise de nerfs, un proche du chef du gouvernement Aziz Akhannouch.

Le 27 septembre, un journaliste de l’hebdomadaire La Vie éco, vaisseau amiral de l’empire médiatique d’Aziz Akhannouch, trempe sa plume dans l’encrier de la primature et tire à boulets rouges sur le wali de Bank Al-Maghrib.

« En juin dernier, alors que le marché tablait sur le maintien du taux directeur inchangé, le wali de Bank Al-Maghrib (BAM) avait décidé une baisse surprise de 25 points de base. En septembre, c’est la situation inverse qui s’est produite », blâme La Vie éco en ne s’empêchant pas un succulent petit commentaire sur Jouahri, manipulateur de « l’art du contrepied, quitte à décevoir ».

Bank Al-Maghrib pointé du doigt par la primature

Le journal du chef du gouvernement accuse « le dépositaire des traditions financières » d’avoir refroidi les ardeurs des investisseurs, dont le royaume a grand besoin en ce moment, après avoir « opté pour le statu quo, alors qu’une grande majorité des analystes et des professionnels du marché s’attendaient à une nouvelle baisse du taux de la banque centrale ». Ce choix est jugé incompréhensible au vu de la conjoncture, estime La Vie éco.

D’ailleurs, l’hebdomadaire prend à témoin la Bourse de Casablanca, dont l’indice Masi, qui gagnait autour de 1 % avant l’annonce de BAM, a immédiatement dévissé pour terminer la séance en territoire négatif.

Dans les équipes de la primature, l’incompréhension est totale vis-à-vis de la politique monétaire d’Abdellatif Jouahri. La conjoncture, selon les cercles proches d’Aziz Akhannouch, semble favorable à une nouvelle baisse du taux directeur : une inflation modérée en dessous des 2 % depuis le début de l’année, un assouplissement des politiques monétaires des banques centrales des principales économies mondiales, et, pour conclure, l’impérative obligation de booster l’activité économique, et par conséquent la croissance et la création d’emplois.

Un flegmatique contre un roublard : faites vos jeux…

Le patron de la banque centrale est à peine accusé de mener une politique excessivement prudente qui risque de bloquer le développement du pays. Un tacle tellement appuyé qu’il frôle la carotide.

En réponse aux desiderata du gouvernement, le wali de Bank Al-Maghrib, en s’inspirant du vocabulaire de « Touti », dont il est un joueur chevronné, explique sans broncher « qu’il y a des cartes vues et d’autres non vues », avant d’ajouter, mi-figue mi-raisin, « qu’en décembre, on mettra tout sur la table et on décidera ». En passant, Abdellatif Jouahri se permet le luxe de dénoncer l’opportunisme des investisseurs privés, mais aussi le laxisme du gouvernement Akhannouch face à la hausse inquiétante du chômage des jeunes, qui a conduit aux événements regrettables de Fnideq. Sans abattre ses cartes, le gentilhomme fassi « chante » et remporte ce pli haut la main.

Il y a 18 mois, déjà, un match avait opposé les deux hommes, toujours autour des taux directeurs. Le 21 mars 2023, alors que le conseil de BAM venait d’annoncer une hausse du taux directeur pour enrayer une inflation galopante, qu’Abdellatif Jouahri devait commenter lors d’une conférence de presse… Rataplan… Le rendez-vous habituel est annulé in extremis. Une crise qui avait à l’époque ébranlé le royaume, au point qu’un arbitrage royal avait été sollicité, sans que personne n’en connaisse le verdict.

En tout cas, entre un ambitieux Aziz Akhannouch, que l’on dit désireux de rempiler pour un deuxième mandat à la primature, et un Abdellatif Jouahri, inamovible patron de la Banque centrale du royaume, qui du haut de ses 85 ans est le chantre d’une infaillible orthodoxie financière, rien ne semble aller.

La politique économique du chef du gouvernement est vue, depuis le siège de Bank Al-Maghrib, comme « hasardeuse, précipitée et peu efficace ». Quant à la gestion monétaire du wali, pourtant louée par les spécialistes, elle n’est pas au goût de l’actuel chef du gouvernement. Ses sorties lors des conférences de presse, fantasques et corrosives, non plus. Abdellatif Jouahri, ancien grand argentier du royaume, s’oublie souvent en jouant au maître d’école, « Monsieur je-sais-tout », distribuant à tout-va les bons points et les bonnets d’âne. Une posture qui insupporte fortement Aziz Akhannouch.

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