Vu de loin, c’est pot de terre contre pot de fer. Vu de plus près, l’argile fracasse littéralement le métal. Les images et vidéos des affrontements entre les militants du Hirak et les forces de l’ordre marocaines relayées par les réseaux sociaux ont indéniablement tourné à l’avantage des manifestants. Tandis que la version officielle relayée par les télévisions d’Etat et autres médias a peine à s’imposer. Rien d’anormal. Depuis l’invention de la photographie, puis du cinéma, l’usage de la force, fut-elle légale, a toujours souffert d’une reproduction négative dans l’imaginaire populaire et dans la presse. Ce fut le cas de la contestation aux Etats-Unis des opposants à la guerre au Vietnam, et des manifestations de mai 68 en France. L’image de policiers protégés de boucliers, arborant casques et matraques, n’a jamais suscité l’empathie. A contrario, l’image de manifestants torses nus, cailloux à la main, peut par parfois susciter la bienveillance. Peu importe qui a raison ou qui a tort, et de quel côté se trouve le droit, le citoyen désarmé remporte souvent la bataille de l’image face à la violence policière.
C’est le cas à Al Hoceima depuis l’irruption des forces de l’ordre dans les rues des principales localités rifaines à la veille du mois de Ramadan. Malgré une communication pugnace du ministère de l’Intérieur, déplorant blessés et pertes matérielles au sein des forces de maintien de l’ordre, les photos de visages ensanglantés, de corps tabassés et de charges souvent plus spectaculaires que violentes, font se tourner l’opinion en faveur du mouvement de contestation. Les « live » des manifestations et des sit-in font des centaines de milliers de vues ou de clics sur les réseaux sociaux en seulement quelques jours.
Rien n’y fait, la com informelle bat la communication officielle. Le « citoyen-journaliste-lanceur d’alerte » terrasse les très orthodoxes et surannés reportages des chaînes publiques. Le smartphone américain, coréen ou chinois se révèle plus performant que les plus sophistiquées des caméras HD, Ultra HD et 4K. Et pour cause, dans cette guérilla médiatique sans merci livrée sur un terrain que les pouvoirs maitrisent peu ou mal, les plus légers, les plus rapides et les plus réactifs, sans contraintes éditoriales, relèguent au rang de propagandistes désuets et inefficaces les télévisions d’Etat, embourbées tels de trop lourds blindés.
A quoi servent alors ces lourds « machins » financés le contribuable, s’ils ne servent pas à crédibiliser la coercition légale et à rendre audible la voix officielle ? Quel rôle jouent-ils dans le dispositif médiatique étatique ? Le Hirak dans le Rif a non seulement dévoilé la faillite des corps intermédiaires, mais aussi mis à nu l’inutilité des médias audiovisuels publics tels qu’ils existent aujourd’hui. Pour preuve, tout au long du mois de ramadan, au plus fort de la crise du Rif, la première chaîne de télévision publique marocaine peinait à réunir un public, l’audience dépassant tout juste 6% en prime time. Un modèle de communication en faillite chaque jour dépassé par les événements.