Le chef du mouvement tunisien islamo-conservateur Ennahda, Rached Ghannouchi, a été officiellement lâché par le régime algérien. Alger n’a absolument pas bougé le petit doigt pour empêcher son arrestation intervenue ce 17 avril alors qu’elle est d’habitude très regardante sur la moindre évolution des rapports de force au sein de la classe politique tunisienne.
Si le chef du mouvement tunisien islamo-conservateur Ennahda a pu être arrêté, lundi 17 avril, avec une facilité déconcertante par une force policière à son domicile à Tunis, c’est parce que le pouvoir algérien, grand acteur politique dans la crise tunisienne et première force étrangère disposant d’une grande influence en Tunisie, a levé officieusement la protection qui lui offrait depuis 2021. Des sources algériennes bien informées ont confirmé à Maghreb-intelligence qu’Abdelmadjid Tebboune et l’establishment algérien a préféré sacrifier Rached Ghannouchi pour se rapprocher de l’Arabie Saoudite avec laquelle les rapports sont très froids et tendus.
Il faut savoir que jusque-là un deal liait le président tunisien Kaies Saied à Alger : Tebboune et les dirigeants algériens lui offrent un soutien indéfectible et une protection absolue tant qu’il respecte certaines consignes liées à quelques lignes rouges tracées par le régime algérien. L’une de ses lignes rouges était l’intégrité physique et morale du leader d’Ennahada, un parti islamiste longtemps ménagé, voire adoubé par Alger, dans le cadre d’une stratégie régionale visant à domestiquer les frères musulmans en Tunisie pour les empêcher de propager leurs idées hostiles au pouvoir sécuritaire et militaire en Algérie.
Bien avant l’arrivée de Kaies Saied au pouvoir à Tunis, Rached Ghannouchi entretenait de bons rapports avec Alger et plusieurs accords de bonne entente avaient été conclus par les islamistes tunisiens avec le régime alg »érien qui appuyait à maintes reprises les gouvernements tunisiens successifs ayant dans leur composant des membres éminents d’Ennahda. En contrepartie de cet appui, les islamistes tunisiens ont refusé que la Tunisie se transforme en un foyer de développement d’un islamisme radical hostile au régime algérien.
Dès l’entame du coup de force constitutionnel par Kaies Saied à partir du 25 juillet 2021, le régime algérien a noué un deal avec le maître de Carthage pour assurer une certaine protection à Rached Ghannouchi dans l’optique de garantir un certain équilibre des pouvoirs qui serait favorable aux intérêts de l’Algérie en Tunisie. Ce deal semble avoir été rompu, assurent nos sources, en raison de l’impératif dicté par Alger de se réconcilier rapidement avec l’Arabie Saoudite qui bouleverse toutes les données géostratégiques de la région depuis qu’elle a enterré la hache de guerre avec l’Iran et ses alliés au Moyen-Orient.
Dans ce nouvel ordre régional que Riyad dessine avec son nouveau « partenaire » iranien, Alger se sent grandement menacé d’autant plus que Riyad fait tout pour démontrer que le régime algérien n’a pas sa place dans son nouveau cercle d’alliés.
Et pour séduire Riyad ou faire un pas vers la relance de la coopération avec l’Arabie Saoudite, le régime algérien a utilisé la carte tunisienne, la seule qui est réellement en sa possession au regard de son influence limitée dans les autres pays de la sous-région. L’Arabie Saoudite, précieuse soutien de Kaies Saied et de son autoritarisme absolu, est l’ennemi juré d’Ennahda et des Frères musulmans qui sont soutenus par le Qatar ou la Turquie.
Rached Ghannouchi est également le dernier obstacle majeur à la conquête intégrale du pouvoir par Kaies Saied. Sa neutralisation ne pourra que ravir les saoudiens qui rêvent de débarrasser le monde arabe de l’influence « malsaine » des frères musulmans et de leurs satellites qui constituent une autre menace directe pour la pérennité de la monarchie saoudienne.
Rached Ghannouchi serait donc le cadeau du régime algérien à MBS, le prince héritier saoudien. Reste à savoir comment ce dernier va apprécier cette main tendue d’Alger au moment où Riyad est en train de boucler définitivement le dossier syrien, dernier dossier de grosse mésentente avec Téhéran, pour asseoir le nouvel ordre qui régira prochainement les affaires complexes du Monde Arabe.