Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a considéré récemment que l’écrivain franco-algérien «n’est pas un problème algérien» dans un entretien au journal français L’Opinion, publié dimanche dernier. Dans ce même entretien au journal L’Opinion, Abdelmadjid Tebboune s’est exprimé sur le cas de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, incarcéré depuis la mi-novembre en Algérie en présentant de nombreuses assurances sur ses supposées bonnes conditions de détention. «Comment les propos d’un écrivain de 75 ans peuvent-ils être considérés comme une menace pour la sécurité nationale d‘un pays souverain doté de la deuxième armée du continent ?», interroge le journaliste Pascal Airault du quotidien français l’Opinion. «Boualem Sansal n’est pas un problème algérien. C’est un problème pour ceux qui l’ont créé», répond le président algérien, avant de prononcer une phrase mystérieuse : «Jusqu’à présent, il n’a pas livré tous ses secrets.»
Tebboune a évoqué également les liens de Boualem Sansal avec l’ancien ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, chez qui il serait allé dîner la veille de son départ pour Alger, et avec Bruno Retailleau. Sans développer davantage. «D’autres cas de binationaux n’ont pas soulevé autant de solidarité», estime Tebboune, parlant d’une «affaire scabreuse visant à mobiliser contre l’Algérie». Boualem Sansal, qui a obtenu la nationalité française en 2024, ne s’est vu accorder aucune visite consulaire par les autorités algériennes. Abdelmadjid Tebboune a affirmé à ce sujet que Boualem Sansal qui «n’est français que depuis cinq mois» bénéficie «des mêmes droits que les autres ressortissants français, notamment en matière de visite consulaire en prison…» Mais, ajoute-t-il, «Boualem Sansal est d’abord algérien depuis soixante-quatorze ans». Interrogé, par ailleurs, sur l’état de santé de Boualem Sansal, Tebboune répond : «Il a eu un check-up complet à l’hôpital, il est pris en charge par des médecins et sera jugé dans le temps judiciaire imparti. Il peut téléphoner régulièrement à sa femme et à sa fille». Questionné sur les éventuelles mesures de grâce à titre humanitaire qu’il pourrait prendre, le président dit qu’il ne peut «présager de rien».
Face à ces affirmations, un autre écrivain franco-algérien est sorti de son silence pour publier une contribution dans laquelle il dément totalement les assurances avancées par Abdelmadjid Tebboune pour parler des bons traitements supposément réservés à Boualem Sansal dans sa prison algérienne. Kamel Bencheikh, écrivain franco-algérien, auteur notamment de « L’Islamisme ou la crucifixion de l’Occident » (éditions Frantz Fanon, 2024), a adressé le 5 février dernier au président Abdelmadjid Tebboune, une lettre ouverte pour dénoncer, condamner et déplorer ses propos sur Boualem Sansal.
« Vous avez choisi la colère, vous avez dressé des murailles d’incompréhension, vous êtes allé jusqu’à rappeler votre ambassadeur lorsque la France a reconnu la marocanité du Sahara. Mais pourquoi cette colère sélective ? D’autres nations, comme les Pays-Bas ou les États-Unis, ont fait ce choix avant la France, sans que votre voix ne tonne avec autant de vigueur. Est-ce donc toujours vers l’ancienne puissance coloniale que doivent se tourner vos foudres, comme si le passé devait sans cesse hanter le présent ? », s’interroge dans sa lettre Kamel Bencheikh.
« Dans votre dernière intervention auprès d’un journal français, vous reprochez à Boualem Sansal d’avoir dîné la veille de son départ pour Alger avec Xavier Driencourt, que je connais bien. Est-ce à dire que les écrivains franco-algériens seraient obligés de demander une autorisation spéciale pour fréquenter une personne précise ? Vous insinuez également que Boualem Sansal peut téléphoner régulièrement à sa femme et à sa fille. Je ne sais pas ce qu’il en est de sa femme puisque je n’ai aucune nouvelle d’elle mais pour ce qui est de sa fille, cela va faire trois mois qu’elle n’a strictement aucune nouvelle de Boualem », atteste encore Kamel Bencheikh selon lequel la fille de Boualem Sansal est toujours privée de toutes informations précieuses ou utiles sur le sort de son père en Algérie.
« Pire, c’est vers moi que sa fille se tourne pour savoir si j’ai des nouvelles de son père. Les choses sont donc plus compliquées pour notre ami Boualem qu’il n’y paraît et je me rends compte que tout n’est pas exact dans ce que vous dites. En revanche, lorsque le journaliste a attiré votre attention sur l’âge et la santé de Boualem Sansal et vous a demandé si vous pouviez prendre des mesures de grâce à titre humanitaire, vous avez répondu que vous ne pouviez présager de rien », a interpellé encore une fois Kamel Bencheikh dans sa lettre commenter et recadrer les affirmations du président algérien sur les conditions de détention du tristement célèbre écrivain franco-algérien.
« Libérez immédiatement Boualem Sansal. Laissez-le retrouver l’air libre, l’affection des siens, le réconfort de la médecine et des mots si hauts portés. Laissez à l’Algérie l’honneur d’être une terre qui ne craint pas ses écrivains mais qui les célèbre, qui ne les enferme pas mais qui les écoute », a conclu enfin Kamel Bencheikh en guise d’un cri de cœur adressé directement à un Président Algérien visiblement désireux de garder encore pendant longtemps en otage un écrivain âgé et rongé par un cancer.