Cela fait deux jours et autant de nuits que les Tunisiens manifestent leur ras-le-bol dans les rues des principales villes du pays. Emeutes, pillages, manifestations et interventions de toutes les forces de sécurité y compris de l’armée. Un mort, plus de 200 arrestations et des dégâts matériels de plusieurs millions de dinars. Pourtant le « vieux de Carthage » n’a pas encore daigné se montrer pour rassurer la population et parler au peuple.
Sept ans après la révolution du jasmin qui a mis fin à la dictature de Zine El Abidine Ben Ali, la Tunisie va mal. Son économie est à la dérive, sa classe politique se donne piteusement en spectacle et ses institutions sont de moins en moins crédibles aux yeux des citoyens. Le bilan de ces dernières années et tout sauf reluisant. Donné en modèle de stabilité et de développement au Maghreb et au Moyen-Orient, la Tunisie s’est peu à peu laissée glisser vers une « clochardisation avancée », selon l’expression d’un haut cadre du FMI.
La cause de cet effritement serait due, selon plusieurs anciens responsables tunisiens, à la manière dont le pays est géré. Le président Béji Caïd Essebssi, aujourd’hui âgé de 92 ans, veut coûte que coûte voire son fils Hafedh lui succéder à Carthage. Mais ce dernier, peu connu et peu populaire, n’a aucune chance face aux ambitions des cadres de Nidae Tounès, dont l’actuel premier ministre Youssef Chahed qui plane dans les sondages. Face à cette situation, les islamistes d’Ennahda restent en embuscade, prenant leur part du gâteau gouvernemental, sans pour autant se mouiller. Une stratégie qui, à défaut de leur garantir une grande popularité, leur permet de se maintenir comme l’un des principales forces politiques du pays. De son côté, la puissante UGTT, fer de lance de toutes les contestations, n’a pas le choix. Doublée sur sa gauche par une Hama Hammami plus que jamais en verve, la centrale syndicale doit répondre aux doléances les plus radicales des franges populaires afin de pouvoir demeurer l’interlocuteur incontournable des pouvoirs publics.
Aujourd’hui l’heure est grave. Si les manifestants n’arborent aucun slogan politique et n’ont aucun souffle révolutionnaire, il n’est pas certain que cela durera longtemps, notamment en l’absence d’une offre politique efficace et crédible. Béji Caïd Essebssi semble avoir choisi d’user jusqu’à la moelle son premier ministre quand ce dernier paraît avoir opté pour un discours sécuritaire face à la contestation.