La dékémalisation de la Turquie préoccupe les pouvoirs maghrébins.Le référendum sur la révision constitutionnelle qui s’est déroulé en Turquie le dimanche 12 septembre a été particulièrement suivi par les pouvoirs maghrébins.
Alors que beaucoup d’analystes prédisaient une victoire étriquée du « Oui », c’est par un large score que les turcs ont adopté la réforme proposée par l’AKP de l’islamiste modéré Recep Tayyip Erdogan. Les électeurs anatoliens ont suivi le message martelé par l’AKP tout le long de la campagne. Le premier ministre turc a appelé à voter en faveur de la « constitution du peuple » contre la « constitution des militaires ». Message largement suivi puisque la réforme a été adoptée avec 58 % des voix.
La large victoire du parti islamiste-conservateur, au pouvoir à Ankara depuis 2002, enlève deux des derniers bastions du kémalisme d’entre les mains de l’armée. Il s’agit de la modification du mode de nomination des membres de la Cour constitutionnelle, du Conseil supérieur des juges et des procureurs. Les électeurs ont ainsi quasiment donné carte blanche à Erdogan pour accroître le pouvoir de l’Exécutif sur le judiciaire.
Le processus de « Dékémalisation » continue donc de plus belle en Turquie. Après avoir remporté la gestion des plus grandes municipalités du pays, l’AKP est en train d’étendre son pouvoir sur le reste des institutions contrôlée jadis par l’élite laïque. L’armée qui avait toujours son mot à dire, se trouve aujourd’hui piégée. Elle ne peut que cautionner un processus démocratique qu’elle a elle-même contribué à mettre sur les rails. En outre, la majorité des Turcs sont satisfaits de la gouvernance de l’équipe d’Erdogan : l’économie est florissante, le chômage en baisse et la corruption a fortement décliné. Un bilan auquel on peut ajouter un activisme diplomatique sans précédent qui flatte l’égo des Turcs qui voient leur pays passer de rôle de satellite de l’occident à celui de grande puissance régionale autonome.
Les succès des islamistes turcs inquiètent donc au Maghreb. En Algérie, les militaires voient d’un mauvais œil l’interventionnisme turc dans les affaires interarabes. L’AKP est en train de démontrer que les partis islamistes peuvent « bien gouverner » si l’occasion leur est donnée. Même constat au Maroc où le PJD (parti islamiste représenté au parlement) entretient de très bons rapports avec l’AKP turc. L’opinion publique marocaine est fascinée par l’essor démocratique et économique que connait la Turquie sous la férule des islamistes-conservateurs. En Tunisie, « l’exemple turc » qui démontre que les islamistes peuvent être un vecteur de la modernité, exaspère quelque part. La Turquie qui s’est imposée comme un partenaire économique de premier ordre dans les pays du Maghreb, devient soudain un véritable casse-tête pour les pouvoirs de ces pays.