Emeutes en Tunisie et manifestations de rue au Maroc, dans ces deux pays maghrébins pourtant réputés pour leur stabilité, les régions défavorisées donnent de plus en plus de la voix. Sans le dire trop fort, commentateurs et opinion publique évoquent déjà un retour des Printemps arabes. Un Printemps résolument « khobziste » afin de satisfaire des revendications socio-économiques. En Tunisie, les régions frondeuses du sud-est du pays sont depuis plusieurs mois en ébullition. A Tataouine, ville-oasis de 70.000 habitants, la situation a récemment dégénéré en de violents affrontements entre la police et la garde nationale d’un côté, les habitants de l’autre. Des postes de police et le siège de plusieurs administrations ont été brûlés et saccagés, des dépôts et des commerces pillés. Et c’est l’armée qui a dû intervenir pour rétablir un calme précaire.
Face à ce chaos, la parole du gouvernement tunisien ne porte plus auprès des citoyens. Aussi bien le chef de l’Etat que son premier ministre sont aujourd’hui inaudibles, incapables de reprendre l’initiative ou de proposer une sortie de crise. Selon une source diplomatique européenne en poste à Tunis, la situation est plus grave que ce que laissent entendre les autorités tunisiennes. Si l’état économique du pays est désastreux et impacte sérieusement les agrégats sociaux, les populations sont aussi dans la rue par désenchantement politique.
Six ans après la révolution de jasmin qui a conduit à la chute de Zine El Abbidine Ben Ali, la Tunisie n’est quasiment plus gouvernée. Le président Béji Caïd Essebsi, âgé de 91 ans et malade, ne serait plus en capacité de conduire les affaires du pays. Depuis son accession à la tête de l’Etat en décembre 2014, trois chefs de gouvernement se sont succédé. L’actuel premier ministre, Youssef Chahed, un professeur d’agroéconomie politiquement inexpérimenté et sans charisme, s’appuie sur une coalition hétéroclite sujette aux luttes intestines.
Au Maroc, un autre scénario pointe. Le premier gouvernement issu de la constitution de 2011 et présidé par Abdelilah Benkirane a été remplacé par un autre islamiste, Saâd Eddine El Othmani, plus effacé et moins populaire. Dans le même temps, la région du Rif déjà secouée par des manifestations timides, se radicalise en envoyant des milliers de protestataires dans les rues d’Al Hoceima. D’autres villes du royaume comme Boujniba, Khouribga et Safi lui emboîtent le pas, dénonçant le chômage et le manque d’infrastructures. Un mouvement essentiellement social qui pourrait devenir rapidement politique s’il n’était pas pris au sérieux par les autorités. D’autant que les réseaux sociaux se sont emparés de ces mouvements de protestations, les plaçant sous le feu des projecteurs des opinions publiques nationale et internationales.