Après une longue attente, le verdict du Conseil de la concurrence, sur le dossier des distributeurs des hydrocarbures, est finalement rendu public. Faut-il s’en réjouir ou désespérer à l’annonce d’une amende de 1,8 milliards de dirhams infligée à neuf compagnies du secteur?
Dans l’analyse de cette annonce il y a lieu de commencer par contextualiser cette décision.
Le secteur des hydrocarbures a été libéralisé en 2015 afin de décharger le budget public d’une charge de subvention d’une moyenne annuelle de quelques 25 milliards de dirhams. En revanche, aucun outil de contrôle et de régulation n’a été mis en place, d’où l’émergence de pratiques de complaisance anti-concurrentielles ce qui a vidé la libéralisation de son noble sens. S’en est suivie une période à la limite de l’anarchie et qui aura duré cinq années pendant lesquelles il y avait une quasi entente sur les prix et une dissociation entre les cours mondiaux des carburants et les prix appliqués au Maroc. On se rappelle d’ailleurs des mouvements de protestation par l’opinion publique, en 2020, ce qui a conduit à la constitution d’une commission d’enquête parlementaire qui a présenté un rapport circonstancié annonçant un montant de 17 milliards de dirhams indûment encaissé par les distributeurs des carburants (différentiel du juste prix). Au début de l’année 2021, le Conseil de la concurrence a infligé une amende de 9 milliards de dirhams aux distributeurs avant de se rétracter après le limogeage de son président Driss Guerraoui, dans des conditions rocambolesques, et l’abandon de ladite amende!
Ces péripéties douloureuses ont été, peut-être, interprétées comme un pseudo feu vert, et lesdites sociétés ont persisté à user de leurs pratiques anti-concurrentielles jusqu’à ce que le montant de 17 milliards de dirhams a atteint 43 milliards de dirhams, selon Nabil Ben Abdallah, secrétaire général du PPS et « le Front La Samir », et 50 milliards de dirhams selon nos sources.
Maintenant que nous sommes en 2023, et que le “nouveau” Conseil de la concurrence a décidé d’infliger cette amende de 1,8 milliard de dirhams, quelle grille de lectures peut-on apporter à l’égard de cette décision?
Un, ce verdict est en soit une condamnation ferme qui rétablit Driss Guerraoui dans son honneur.
Deux, la décision du groupement des distributeurs de ne pas interjeter appel est un aveu claire, net et précis de l’exercice de pratiques non conformes aux règles concurrentielles.
Trois, cette reconnaissance par les distributeurs devrait inciter leurs relais dans le parlement et dans les médias à davantage de retenue.
Quatre, le montant de l’amende est dérisoire au vu du chiffre d’affaires réalisé par les neuf sociétés et ne compense nullement les dommages subis par les consommateurs depuis 2015, soit huit années. Comparons : quand ces sociétés étaient pointées du doigt pour gains non conformes de 17 milliards de dirhams l’amende infligée alors était de 9 milliards de dirhams, et aujourd’hui que l’on parle de gains non conformes d’au moins 43 milliards de dirhams l’amende ne dépasse guère 1,8 milliards de dirhams pour 9 distributeurs et pour une période de huit années “d’exploitation”! En fait, ce montant dérisoire n’est que de la poudre aux yeux et ne représente pas plus que des miettes par rapport aux gains encaissés par lesdits bénéficiaires. C’est pourquoi d’ailleurs ces derniers n’ont pas rejeté la décision.
Cinq, cette décision ne traite nullement le flagrant conflit d’intérêt observé, dans ce secteur, au niveau du chef de gouvernement.
Enfin, les circonstances du traitement de ce dossier brûlant et ses antécédents ont clairement influencé la décision finale du Conseil de la concurrence, présidé par Ahmed Rahhou, notamment en se référant à la “mésaventure” de l’ancien président ! Il a ainsi décidé de pondre un verdict qui le blanchit vis-à-vis de l’opinion public sans pour autant fâcher les distributeurs. En d’autres termes, le Conseil de la concurrence ne serait pas l’outil dissuasif auquel on aspirait pour la moralisation de ce secteur, ce qui prélude d’une pérennisation des pratiques précitées en attendant, peut-être, un autre président.