En apparence, c’est un coup de fil normal qu’a reçu la veille du mois saint de ramadan le président Abdelfattah Al-Sissi de la part de l’émir du Qatar; la tradition protocolaire voulant que les chefs d’Etat arabes se congratulent entre eux chaque année à l’arrivée du mois de jeûne. Mais dans les faits, c’est un séisme diplomatique, puisque les relations entre Le Caire et Doha ont été rompu depuis plus de trois ans et n’ont connu qu’une fraîche reprise en janvier dernier.
L’échange téléphonique entre le dirigeant d’un pays qui a été le point d’appui de l’islamisme politique et le support de tous les mouvements islamistes, légaux ou non, et le président d’un régime qui a mis fin, d’une manière sanglante, au pouvoir du premier régime islamiste dans la région n’a pas surpris. La chaîne de télévision Al Jazeera, très active pour mettre en avant l’islam politique et tailler des croupières à leurs adversaires, a remisé au placard, sur ordre de Doha, ses velléités islamophiles. Un signal fort et clair que le Qatar, désireux d’assainir ses relations avec ses voisins du Golfe, s’est empressé d’envoyer aussi bien à l’Egypte qu’à ses anciens alliés islamistes. La réconciliation a nécessité un sacrifice de taille que l’émir Tamim ben Hamd Al Thani n’a pas hésité à offrir à ses nouveaux amis.
Et la mouvance islamiste ne semble qu’au début de ses peines. La Turquie, un mastodonte qui ne cachait pas ses sympathies envers cette mouvance vient d’opérer un grand virage. Il y a quelques semaines, le gouvernement d’Erdogan s’est spectaculairement rapproché du régime d’Al-Sissi. Dans la foulée, il a ordonné aux chaînes de télévisions d’obédience «frères musulmans» de cesser de diffuser des émissions critiques à l’égard de l’Egypte. «L’ordonnance» a visé particulièrement les télés Asharq et Mekameleen, véritables antres des opposants islamistes.
Recep Tayyip Erdogan a également facilité la conclusion d’un accord en Libye. Il a tourné le dos aux milices djihadistes qui contrôlent Tripoli et aux partis islamistes affiliés aux Frères musulmans comme le PJC et le Front national. Il a accepté la nomination au poste de premier ministre d’un «islamiste libéral et indépendant» en la personne d’Abdelhamid Dabaiba. Un profil qui plaît également à l’Egypte et aux Emirats Arabes Unis, en raison de ses divergences avec les milices extrémistes.
Ce revirement de positionnement du Qatar et de la Turquie a été ressenti comme une onde de choc au Maroc et en Tunisie. Le PJD qui dirige le gouvernement marocain depuis une dizaine d’années et Ennahda qui se complaît dans son rôle de faiseur de rois en Tunisie perdent deux grands alliés. Ils trouvaient à Doha et à Ankara des appuis aussi bien politique que financiers. « Aujourd’hui une page est en train d’être tournée. L’islam politique comme on l’a connu jusque-là est fini. D’ailleurs, pour sortir de la crise engendrée par la pandémie du Covid-19, la politique passera au second plan au profit du tout économique », résume un observateur averti de la scène politique maghrébine.