La crise du Coronavirus constitue un coup de frein à la mondialisation, mais un accélérateur aux tensions géopolitiques sino-américaines. Depuis un certain temps, on observe une nette aggravation des rivalités de pouvoir entre les deux puissances. En effet, cet antagonisme risque de générer un cataclysme socioéconomique planétaire dans l’ampleur reste à mesurée. Un bras de fer susceptible d’engendrer un basculement de la hiérarchie des puissances sur l’échiquier géopolitique mondial. Ce duel des géants envenime davantage le clivage géopolitique entre les deux protagonistes, renforçant ainsi la probabilité d’une éventuelle nouvelle guerre froide à l’horizon. Une chose est sûre, la montée en puissance du dragon chinois angoisse les Etats-Unis à tel point qu’ils ont concentré la quasi-totalité de leur politique étrangère belliqueuse sur le péril jaune. Dès lors, une question me taraude l’esprit : la prophétique phrase de Napoléon 1er « laissez donc la Chine dormir, car lorsque la Chine s’éveillera, le monde entier tremblera » devient-elle auto-réalisatrice ?
Les relations sino-américaines sont les rapports, à la fois de compétition et de collaboration, tissés entre les États-Unis d’Amérique et la République populaire de Chine. La plupart des géopolitologues révèlent que ces relations sont enchevêtrées et disposent de plusieurs facettes. Les deux acteurs géopolitiques ne sont ni alliés ni ennemis, mais sont malgré cela, deux grandes puissances dont les intérêts sont divergents et les économies sont intimement liées. La maison blanche ne considère pas la République populaire de Chine comme un adversaire, mais un rival dans de nombreux domaines et un partenaire dans d’autres. Au cours de la guerre froide, la rupture sino-soviétique fournit une opportunité aux États-Unis pour établir des liaisons étroites avec la Chine continentale afin de neutraliser l’Union-soviétique. En contrepartie, après l’implosion de l’URSS, les relations entre les deux pays vont prendre un nouveau tournant, vu la disparition d’un ennemi en commun, malgré le fait que l’administration Clinton a joué un rôle décisif dans l’entrée de la Chine à l’OMC en 2001. « Les relations entre les États-Unis et la Chine façonneront le XXIe siècle », a déclaré l’ancien président américain Barack Obama.
« Le pouvoir est l’aphrodisiaque suprême » Henry Kissinger. Depuis l’élection de Donald Trump à la tête de la maison blanche, les relations entre Washington et Pékin sont de plus en plus rigides. L’arrivée du nouveau président au bureau ovale a chamboulé la scène géopolitique internationale : rupture du partenariat entre les Etats-Unis et l’OMS en pleine période de crise sanitaire, puis arrêt aux exemptions spéciales accordées à Hong Kong, ainsi que des manœuvres militaires d’intimidation en mer de Chine méridionale considérée comme étant une zone de friction revendiquée intégralement par l’Empire du Milieu, et convoitée par les pays riverains. De plus, une guerre douanière avec la Chine, l’embargo technologique sur l’entreprise chinoise Huawei dans la mesure où cette dernière dispose du plus grand nombre de brevets en matière de 5G. En outre, le retrait unilatéral de Donald Trump de multiples accords internationaux à l’instar de l’accord nucléaire iranien, le traité « Ciel Ouvert », l’accord de Paris COP-21, l’accord de libre-échange Transpacifique et le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Bref, peut-on encore estimer qu’on est dans une organisation mondiale fondée sur la coopération et le multilatéralisme ? ou plutôt, sommes-nous officiellement dans une logique individualiste sous l’égide du repli identitaire avec un seul slogan « Chacun pour soi » ?
Cependant, avec la crise épidémiologique, ce n’est plus de la suspicion, mais plutôt une franche hostilité qui s’installe entre Washington et Pékin. Le virus sanitaire risque de devenir un virus politique. À outrance, l’escalade verbale entre les deux rivaux, constitue la preuve palpable d’une hypothétique situation conflictuelle. Certes, pour les Etats-Unis, la Chine n’est plus un concurrent, mais un adversaire, voir même, un ennemi potentiel dans le collimateur. Un opposant qu’on accuse de manque de transparence, d’espionnage industrielle et d’être même à l’origine du virus. Au fait, l’ingérence américaine dans les affaires intérieures chinoises semble prendre du recul, vu la flambée des émeutes au niveau de plusieurs villes, mais le ton des accusations monte réciproquement. Pour contrebalancer, la Chine profite de la situation désordonnée aux États-Unis pour s’immiscer à son tour dans les affaires intérieures américaines, en pointant du doigt la gestion maladroite du locataire de la maison blanche vis-à-vis des citoyens afro-américains.
La mort de George Floyd, citoyen américain de couleur d’origine africaine, a remis sur le devant de la scène américaine l’existence d’un racisme enraciné et institutionnalisé. Cette situation a permis de lever le voile sur la supercherie de la propagande américaine, qui n’est rien d’autre qu’une idéologie conçue sur l’ostracisme, la stigmatisation et la discrimination ethnique et raciale. En effet, le flot des manifestations rend la tâche plus pénible à l’administration Trump, au moment où l’économie du pays est mise en veilleuse à cause de la pandémie. La Covid-19 plombe l’économie des États-Unis avec 35 millions de chômeurs. Le pays entre dans une récession économique incontestable en 2020 après dix ans de croissance ininterrompue. Le PIB américain a chuté de 4,8 % au premier trimestre, selon une estimation du département du Commerce. En revanche, selon les prévisions du FMI en janvier 2020, la croissance de l’économie chinoise devrait ralentir à 6%, après 6,1% en 2019 pour la première fois depuis quarante ans, même pendant la crise financière des Subprimes, la Chine n’avait pas connu de récession. Certes, la capacité de résilience et de rebondissement des deux acteurs sont spectaculaires, mais est-ce que les rivalités géopolitiques sino-américaines sont au bord du gouffre ?
« Les Etats-Unis sont le premier empire de l’âge global, les anciens n’étaient que des empires régionaux » Zbigniew Brzezinski. Néanmoins, l’anxiété paranoïaque de Washington à l’égard du rival chinois risque de glisser les deux acteurs dans le piège de Thucydide, à savoir une spirale exponentielle de tensions géopolitiques qui les mènera à se mesurer militairement. Pourtant, un éventuel affrontement militaire reste improbable, vu les enjeux sécuritaires, les jeux d’alliances et que les deux pays sont des membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU possédant la bombe nucléaire. Certes la Chine dévoile des ambitions géopolitiques mastodontes, mais elle ne véhicule – pour le moment – aucun modèle idéologique alternatif au modèle américain fondé sur le libre marché et la démocratie, proclamés valeurs universelles. Il est vrai que, sur le plan militaire, le budget des États-Unis est trois fois supérieur à celui de Pékin, mais aucun pays au monde ne peut rivaliser avec la Chine en matière d’effectifs militaires. Selon les estimations de Global Firepower, la République populaire de Chine dispose actuellement d’environ 2,18 millions de militaires actifs.
« Les deux États ont fait un usage alterné et complémentaire du soft et du hard power » Susan Strange. D’une part, on perçoit que les deux États sont en interaction par la coordination et la confrontation. Les deux protagonistes sont intensément entremêlés en raison de leurs relations Fournisseur-Client, et de leurs dettes financières mutuelles. Outre, l’hégémonie culturelle des américains reste abondamment magistrale à celle des chinois, vu l’attractivité du modèle « the american way of life », la dollarisation du commerce mondial et la suprématie de la langue anglaise. D’autre part, la Chine déploie des investissements monumentaux afin de projeter à l’extérieur de son territoire son rayonnement culturel par l’ouverture de 548 Instituts Confucius présents dans 154 pays. Selon l’OMC, en 2018 la Chine est le premier exportateur et importateur mondial de marchandises, tandis que les États-Unis demeure le premier importateur et exportateur de services commerciaux. Du coup, il semble bien que les deux puissances sont prisonnier de leur interdépendance. Donc, l’objectif implicite de Washington réside dans le fait de gêner l’émergence inquiétante du dragon asiatique et de freiner l’avancée du projet titanesque « One Road, One Belt ». Certes, la nouvelle route de la soie constitue un projet économique en terme d’infrastructures tout bonnement prodigieux, mais avec des retombées géopolitiques. D’ailleurs, on constate nettement l’ambition du président chinois Xi Jinping consistant à réveiller le rêve de l’Empire du Milieu.
Sur ce, La guerre commerciale des taxes comporte d’une manière sous-jacente, une confrontation géopolitique, qui atteste d’une véritable course à l’hégémonie mondiale. D’une part, les américains érigent des rivalités de pouvoir pour maintenir le leadership mondial. D’autre part, la Chine, active ces rivalités de pouvoir pour détrôner les Etats-Unis. Comment les États-Unis vont-ils s’adaptés face aux mutations géopolitiques mondiales pour garder leur statut de puissance globale ? une trêve est-elle envisageable entre les deux acteurs ? Dans quelle mesure un nouvel ordre mondial bicéphale Chine-États-Unis est-il possible ? en un mot, il semble bien que, même affaiblis, concurrencés ou contestés, les États-Unis restent momentanément, et pas pour longtemps, la superpuissance mondiale.
*EDAHBI SAMI, Agrégé en économie et géopolitique, Professeur de Géopolitique aux classes préparatoires aux grandes écoles
Excellent article, qui éclaire sur ce qui nous attends et que le Coronavirus n’a fais qu’acxelerer.
Un excellent article, qui evoque la relation actuelle entre les Etats-Unis et la Chine, sur une course de puissance, surtout dans ce contexte du Coronavirus qui boulverse l’ordre mondial. Sur ce on doit attendre l’aprés pandémie pour assister à un changement dans les rapports de force.
Un excellent article qui traite la problématique de l’ordre mondial aprés la pandémie, surtout les relations sino-américaine qui devient assez complexe